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L’histoire, la géographie, les langues et les échanges historiques font que les affaires de certains pays ne sont jamais que leurs propres affaires. C’est ainsi. Quel que soit l’envie de se retrouver entre soi et de ne parler qu’entre soi, ce qui se dit et se vit en France est entendu et vécu dans une grande part de pays africains. C’est ainsi.

La France, puisqu’il s’agit bien d’elle, représente encore un vaste horizon intellectuel pour tout un monde francophone qui a accédé à la pensée moderniste grâce à elle et à sa langue. Cette langue française qui bourdonne sans arrêt et de plus en plus fort en Afrique porte en elle une forte charge émotionnelle sur le continent. C’est la langue du colonisateur. Apprendre et comprendre le français, sa grammaire et son orthographe, étaient synonyme de prestige et d’ascension sociale pour les peuples colonisés. L’histoire sociale, économique, politique et culturelle de centaines de millions de peuples africains s’écrit aujourd’hui en Français. Et lorsque, au bout de la seconde guerre mondiale, le général De Gaule proposa la « communauté française », c’est bien parce qu’il avait la vision d’une France ouverte, multiculturelle et multicolore. Si aujourd’hui, moi, l’intellectuel francophone africain, je parle de la France, c’est bien parce que, à plus d’un titre, ça en vaut la peine. Ça en vaut la peine parce que, lorsque la France est frappée à son cœur par le terrorisme barbare, c’est toute la communauté de « l’idéal France », dans un élan spontané et naturel, qui ressent la douleur et manifeste sa solidarité sur tous les fronts. Puis, lorsqu’on regarde de près ces actes terroristes. Qui retrouve-t-on? Des enfants de la République. En observant encore plus près, on retrouve des noms tels que Mérah, Coulibaly, Kouachi, Ahmed, Mohamed, Omar, etc. Presque tous des français de deuxième génération de parents devenus français grâce à l’ouverture et aux promesses coloniales de la France. Tout d’un coup, on se demande, qu’est-ce qui n’a pas vraiment bien tourné? Certes, il est vrai que la période de la décolonisation est passée par là. Mais qu’est-ce qui peut amener des enfants de la République dont les parents sont issus de territoires jadis colonisés à haïr autant la France au point de tuer aussi cruellement leur semblable français? Les justifications sont nombreuses. Cependant, l’une des plus évidentes est que ces jeunes sont victimes d’un embrigadement idéologique par un ennemi extérieur : Daech. Alors, on déploie le porte avion Paris-Charles-De-Gaulle et on fait décoller les Rafales pour bombarder Daech en Irak et en Syrie. On participe à la coalition internationale contre Daech pour anéantir Daech dans son sanctuaire au moyen orient. Ces interventions sont payantes car Daech recule et perd du terrain. C’est donc la bonne stratégie. Bientôt Daech n’aura plus aucun territoire sous son contrôle. La victoire est sans doute proche.

Toutefois, la question reste posée en ces termes : « qu’est-ce qui peut amener des enfants de la République dont les parents sont issus des territoires jadis colonisés à haïr autant la France au point de tuer aussi cruellement leur semblable français? » La question est posée en ces termes de manière délibérée parce qu’en France, à l’intérieur, on ne la pose pas ainsi. À l’intérieur, la doxa intellectuelle et politique s’explique cette menace intérieure par le phénomène de « radicalisation » qui s’empare subitement de jeunes Français par le canal de l’islam. Il y a certainement une grande part de vérité dans cette explication parce que, effectivement, la corrélation est presque parfaite entre ces terroristes français et leur « appartenance symbolique » à l’islam. Alors, on fait le procès à la deuxième religion de France, on distribue à la plage des contraventions à des femmes toutes revêtues de tenues à la mode française, on propose de déchoir de leur nationalité des français qui n’ont d’autres patries. Et on lâche finalement le mot : assimilation. Quelques intellectuels français, mais surtout des franges importantes de responsables politiques de droite comme de gauche, ont trouvé une solution toute faite pour la dé-radicalisation des jeunes français de deuxième génération dont les parents sont issus des territoires jadis colonisés. Cette solution, c’est l’assimilation.

L’assimilation. Voilà où il faut véritablement en venir. Cependant, l’assimilation n’est pas une solution nouvelle en France. En réalité, elle a de tout temps, depuis la proclamation du modèle Jacobin, été appliquée en France. Avec ce modèle, l’objectif pour l’État est d’ériger délibérément la langue et la culture majoritaire auxquelles tous les citoyens devront s’assimiler : d’où la politique d’assimilation. Même s’il a fallu employer des moyens coercitifs massifs pour assimiler les Bretons et les Basques au 19ème siècle, cependant, force est de constater que ce modèle Jacobin a eu un succès considérable dans l’édification d’une communauté politique unifiée et cohérente en France. Pour être beaucoup plus précis, il vaut mieux dire que l’assimilation a bien fonctionné en France lorsqu’il fut question de constituer une nation unifiée et cohérente de communautés partageants les mêmes racines historiques et civilisationnelles européennes. L’honnêteté intellectuelle nous force à dire qu’elle n’a pas abouti aux résultats voulus avec les communautés issus des territoires colonisés d’Afrique (Maghreb et Afrique Sub-Saharienne). Ainsi, alors qu’elle semble nouvelle au vue des circonstances, l’assimilation n’est pas du tout une nouveauté. D'ailleurs, il vaut mieux oser se demander si l’assimilation n’est-elle pas le véritable problème de la France d’aujourd’hui.

Il vaut mieux se poser des questions parce que, l’assimilation telle que l’Afrique l’a connu durant la colonisation est véritablement déshumanisante. Durant ce processus d’assimilation, le meilleur que les populations colonisées d’Afrique pouvait espérer était de devenir des sujets de la France, c'est-à-dire, des hommes et des femmes possédant les obligations de la citoyenneté française et non les droits qui s’y rattachent. C’est le statut d’indigénat. Sous ce statut, l’administration coloniale sanctionnait les populations indigènes sans procédures judiciaires, elle imposait des travaux forcés dans les plantations, et elle procédait à des opérations d’enrôlement massif des populations en tant que soldats, serviteurs, transporteurs ou main d’œuvre. Parmi les populations locales, seuls les chefs de canton, les fonctionnaires, les anciens combattants et les titulaires de diplômes échappaient au lourd statut d’indigénat censé élever les populations vers la civilisation française. Voilà l’assimilation que les colonies africaines de la France ont connue. Que l’extrême droite française exige une dose supplémentaire d’assimilation, c’est à la limite du compréhensible. Mais que des responsables politiques Français de droite comme de gauche réclament encore plus d’assimilation, émotionnellement, même si la décolonisation a eu lieu depuis les années 1950, cela fait quand même froid, très froid, au dos.

Ces jeunes français de deuxième génération dont les parents sont issus des territoires jadis colonisés ont-ils subit un statut d’indigénat sur le territoire de la République? Eux et leurs parents posséderaient-ils les obligations de la citoyenneté française et non les droits qui s’y rattachent? La République a-t-elle honorée ses promesses de « Liberté, Égalité et Fraternité » en vers ces français? Comprenons-nous bien, nous ne sommes pas en train ici de trouver des excuses à des terroristes barbares. Moi, l’intellectuel francophone africain, je pose tout simplement la question de l’assimilation à la France. Et lorsque le Premier ministre en exercice de la République choisi le terme « Apartheid » pour qualifier publiquement la réalité de ces communautés, cela justifie et renforce mon questionnement.

Il est vrai que l’Afrique n’arrive pas encore à s’en remettre. Mais la France doit oser tirer les bonnes conclusions du processus d’assimilation des communautés colonisées d’Afrique présentes sur son territoire depuis plusieurs générations. La solution ne peut en aucun cas être une dose supplémentaire d’assimilation parce que l’assimilation a échoué pour ces communautés-là. Il faut définitivement en prendre acte. Celles et ceux parmi les politiques et les intellectuels français qui proposent plus d’assimilation n’ont manifestement aucune solution pour la France. Le Général De Gaule, en proposant la communauté française, avait une vision à la hauteur de ce qu’est véritablement la France. Il voyait la France infailliblement unie et cohérente. Mais il la voyait aussi ouverte, multiculturelle et multicolore. C’est celle-là la « France réelle ». C’est ainsi qu’elle est grande, inspirante et forte.

À l’occasion des prochaines élections présidentielles de 2017 en France, alors que la droite radicale et l’extrême droite ont des chances de l’emporter avec leur volonté de surdose d’assimilation, c’est à un choix historique et cruciale qu’est confronté le peuple de France. S’embourber durant des décennies, sans aucune perspective d’en sortir, dans la division, la haine, le sectarisme, l’instabilité, la déprime et le renfermement. Ou alors, tourner sereinement la page et aller de manière résolue et ferme vers la réconciliation nationale, le rassemblement, l’unité, la force, l’optimisme et l’espoir. Pourquoi ne pas aller vers une 6ème  République? Il existe certainement encore, à droite comme à gauche, quelques véritables héritiers du Gaullisme en France. 

Mamadou Oury Diallo

Président de la LDRG

« Élections en France – L’Assimilation à tout bout de champs : parlons-en… »