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Ce n'est pas seulement une figure majeure de la politique américaine du demi-siècle écoulé qui a disparu avec la mort, mercredi 26 août, du sénateur Edward Kennedy, des suites d'une tumeur au cerveau. Celui-ci portait un nom mythique et avait hérité d'une histoire familiale qui – à son corps défendant, a-t-il souvent laissé entendre – en faisaient un symbole vivant. Celui d'une Amérique confiante, pacifique et ouverte sur le monde; soucieuse du respect du droit et des libertés civiques; une Amérique encline à privilégier la quête de la solution diplomatique plutôt que l'épreuve de force, sans pour autant rechigner à faire étalage de sa puissance le cas échéant. Symbole, donc, d'une certaine gauche démocrate, progressiste et patriote.

Kennedy: un nom glorieux et lourd à porter. Glorieux car c'est celui d'une des plus célèbres familles patriciennes de la Nouvelle-Angleterre. Lourd parce que son père, Joseph, le patriarche de la dynastie, soupçonné de s'être enrichi grâce à des accointances avec le crime organisé, démocrate devenu anti-rooseveltien et isolationniste durant la deuxième guerre mondiale, avait manifesté des sympathies pour le mouvement de Charles Lindbergh, America First, dénoncé à une période pour sa proximité avec le régime nazi.

Un symbole lourd, surtout, signé par le destin. Les deux frères aînés de celui que l'Amérique appelait "Ted", ont été assassinés: John Fitzgerald Kennedy "JFK", en 1963, lors d'un voyage à Dallas au Texas, trois ans seulement après son accession à une Maison Blanche, dont il avait restauré le lustre et la puissance. Puis viendra, en 1968, le tour de Robert "Bob" Kennedy, ministre de la justice, tué en pleine campagne électorale. Des assassinats perpétrés dans des conditions et pour des motifs jamais réellement élucidés, mais qui passionneront l'opinion mondiale, contribuant à créer cette "légende noire" des Kennedy, dont Ted avait hérité.

Ted Kennedy était le dernier enfant d'une famille d'origine irlandaise poursuivie par le drame. Pilote engagé volontaire, l'aîné, Joseph junior, sur lequel son père, assoiffé de renommée, fondait d'immenses espoirs politiques, avait été abattu en mission au-dessus de la Manche en août1944. Le fils de JFK, le "petit prince" de l'Amérique John-John, périra dans un accident d'avion, à 38 ans, en 1999. Ted lui-même avait miraculeusement survécu en 1964 à un accident similaire. De quoi noircir plus encore la légende: après les assassinats de ses deux frères, Ted était devenu le tuteur de leurs treize enfants.

Il avait été élu la première fois sénateur du Massachusetts en 1962, à 30 ans. Perçu par certains pairs comme "illégitime" – il y prenait la place laissée vacante par son frère John, devenu président–, il allait être réélu depuis sans discontinuer à sept reprises. Il avait aussi, par deux fois, envisagé sa candidature à la magistrature suprême.

En 1972, d'abord, mais une "affaire", qui allait le poursuivre longtemps, l'en avait dissuadé. En juillet1969, Ted Kennedy se trouve dans le Massachusetts près de l'île de Martha's Vineyard. De nuit, en sortant d'une réception à Chappaquiddick. Sa voiture, tombe d'un pont dans la rivière en contrebas. Sa trop jolie passagère, Mary Jo Kopechne, 28ans, se noie. Il tente de la sauver mais s'affole et quitte les lieux. Il attendra le lendemain pour informer la police. Un "fait divers" –beaucoup diront un "scandale"–, lui aussi jamais vraiment élucidé et qui signera d'une tache indélébile sa carrière. La justice l'avait condamné à deux mois de prison avec sursis. Les électeurs, eux, perdront confiance : comment un homme qui fuit ses responsabilités dans le privé pourrait-il assumer la fonction présidentielle? A l'élection de 1980, il s'était pourtant présenté contre le président sortant Jimmy Carter. A la convention démocrate de New-York, les délégués du parti lui avaient préféré Carter qui s'inclinera lui-même devant le républicain Ronald Regan. Malgré des sollicitations récurrentes, Ted Kennedy allait renoncer à toute ambition présidentielle pour se consacrer à sa carrière législative, l'une des plus actives de l'histoire américaine. Il a aussi joué un rôle sur la scène internationale, en particulier pour la résolution du conflit nord-irlandais.

Critique acerbe des allégements fiscaux accordés aux plus riches par l'administration Bush et de son incurie après l'ouragan Katrina qui avait dévasté la Louisiane, en 2005, il était aussi un des adversaires de la guerre américaine en Irak – il est un des rares à avoir voté contre dès le départ –, au point que l'ancien président Bush père lui avait demandé en privé de modérer le ton de ses propos., George W.Bush, lui, a toujours pris soin de préserver les meilleures relations avec M.Kennedy.

Car cette figure tutélaire de la gauche démocrate modérée, dont chaque apparition publique drainait les foules, était un tribun et un grand conciliateur. Il avait fait du respect du système constitutionnel américain – le "checks and balances" (l'équilibre dans la séparation des pouvoirs) – la pierre angulaire de sa philosophie politique. Son premier grand discours de sénateur avait porté sur la loi établissant les droits civiques, en 1964, qui allait aboutir à l'abolition de toute ségrégation raciale aux Etats-Unis. Défenseur des plus faibles –les pauvres, les femmes, les handicapés, les minorités, les immigrés…– mais aussi réformiste convaincu, M.Kennedy s'était ainsi progressivement bâti une stature d'homme de principes et d'impénitent pragmatique.

Cet adepte convaincu du compromis privilégiait toujours l'adoption par consensus d'une loi qu'il n'approuvait que partiellement à l'absence d'une nouvelle législation, lorsqu'il la jugeait nécessaire. Cette attitude lui valait l'hostilité d'autres démocrates, qui estimaient sa propension à l'"accommodement" avec l'adversaire républicain exagérée.

Le sénateur républicain John McCain, qui travailla avec lui sur le dossier de l'immigration, l'avait dépeint comme "un législateur légendaire, un partenaire habile, loyal et généreux". Ayant siégé au Sénat sous dix présidents différents, il y était devenu, en 2006, son second membre le plus ancien. Connaissant tout de ses rouages et de la manière de gérer les relations du Congrès avec la Maison Blanche. Ainsi avait-il été le co-auteur, en 2001, de la loi bipartisane sur l'éducation, dite "No Child Left Behind" (aucun enfant laissé à l'abandon). Mais peu après, il accusait vivement M.Bush de ne pas débloquer les crédits nécessaires à sa mise en œuvre.

Il avait aussi soutenu la nouvelle proposition de loi sur l'immigration souhaitée par la présidence, en 2007. M.Bush proposait des mesures très dures à l'encontre des immigrants illégaux qui tenteraient de venir aux Etats-Unis, mais aussi… de légaliser massivement ceux déjà présents (12 à 15millions de personnes). Pour M.Kennedy, cet aspect pratique prévalait sur la philosophie répressive de la loi, qu'il récusait. Il l'avait donc votée. Elle fut finalement rejetée au Congrès.

Rompant avec son habitude de rester au-dessus des querelles internes au parti démocrate, son dernier acte politique marquant aura été son soutien à la candidature de Barack Obama à la présidence, qui avait affecté le "clan" Clinton.

Sylvain Cypel

Source: http://www.lemonde.fr/carnet/article/2009/08/26/edward-ted-kennedy-symbole-d-une-amerique-confiante-et-ouverte-sur-le-monde_1231985_3382.html#ens_id=1231951

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